Mont-Rhumsiki, Mokolo, Nord-Cameroun

jeudi 10 juin 2010

Les oubliés du centre pénitencier

« Ma peine est terminée depuis un mois et deux jours et je ne sais pas ce que je fais ici. Je suis dépassé ». Ainsi s’exprime Abdou Kaoré dans la cour intérieure de la prison centrale de Garoua, le 10 juin 2010 au environ de 11h30mn. Sous mandat de dépôt depuis le 19 juillet 2006 et condamné le 7 mai 2010 à deux ans d’emprisonnement et 6 mois d’amende en appel, il déclare avoir totalement purgé sa peine. Comme lui, Yaouba Ousmanou, sous mandat de dépôt depuis le 19 février 2009 et condamné à 4 ans le 22 février, dit avoir fait appel le même jour. « J’ai commencé à aller à l’appel depuis le 09 août 2009. Toutes les fois, on renvoie, en renvoie, je ne comprends pas et ça fait déjà presque’ un an », se plaint-il.
A la prison centrale de Garoua qui compte 1.365 prisonniers, de nombreux prisonniers ne connaissent pas leur sort. « Une fois à l’intérieur de la prison, ils attendent qu’on inscrive leur affaire au parquet », explique Me Asta de Justice et paix du Codas-Caritas. Ce qui n’est pas toujours le cas. Victimes des lenteurs judiciaires, des décisions de relaxe et des mandats d’incarcération qui n’arrivent pas systématiquement à la prison, certains y demeureront des années avant de comparaître. « Dans ce registre, on recense les prévenu du tribunal militaire », croit savoir Me Gilbert Baidai, avocat à Garoua.

Cas patents
Les cas des « oubliés » de la prison centrale de Garoua sont significatifs. « Sodéa et de son complice ont passés 20 ans en prison mais ont été condamnés à la 20e année à 10 ans ’emprisonnement », révèle une source proche des autorités judiciaires. Et qu’il s’agisse du nommé Bayabé Wadang qui a purgé un an de plus sur sa peine principale, d’Oumarou Haman alias Mal Ballo alias Baba Ousséini qui a fait appel depuis 2006 et qui n’a été jugé que le 15 mai 2009, des exemples de détenus en attente de jugement sont légion à Garoua.
Autres exemples, Moussa Sali dont le premier lieu de détention est la prison de Guider à 10 ans d’emprisonnement. Alors qu’il fait appel, il est transféré à Garoua. Il y passera plus d’un an et demi sans passé à l’audience. On constatera que le détenu a été transféré de Guider à Garoua sans son dossier. Oumarou Boukar, incarcéré depuis le 24 septembre 2008, n’a jamais comparu. Après moult fouilles au greffe, une « erreur » se serait glissée dans son dossier : il est considéré comme libre alors qu’il est détenu. Il comparaîtra finalement le 07 août 2009 et a été condamné à 11 mois d’emprisonnement ferme et à une contrainte par corps payé.
« Ces cas sont les plus difficiles car il faut entreprendre de nombreuses démarches à la source. Interroger les familles, fouiller dans les registres des greffes. Ça demande beaucoup de temps. Dans le cas par exemple d’une détenue du camp des femmes qui ne connaît pas la date de sa condamnation. Elle nous a donne déjà deux fausses audiences», explique Cyrille Masoukom du programme Justice et Pais du Codas-Caritas de l’archidiocèse de Garoua.
Comme ses collègues, « Me », comme l’interpelle, à tout bout de champs, les détenus qu’elle appelle pour la plupart par leur nom, Cyrille s’occupe quotidiennement à recenser les cas des prisonniers abandonnés à leur sort. « Ayant terminé leur peine, certains ne savent pas qui va établir leur ordre de mise en liberté », constate sa collègue de Justice et Paix, l’avocate stagiaire Asta. Les deux femmes établissent des démarches entre le parquet et la prison afin de résoudre les cas litigieux. « Elles assurent le suivi des dossiers auprès des greffes des tribunaux et cours afin d’avoir une meilleure visibilité sur la situation pénale des détenus », explique David Bayang, adjoint au responsable du Programme Justice et paix de Garoua.
Il s’agir en effet de recouper et d’établir le nom, la date d’écrou, le motif et la date de condamnation du détenu, « support principal pour effectuer les diligences ». Et depuis quelques années, ces « diligences » se sont avérées efficaces puisqu’elles ont permis de retrouver et de suivre des centaines de dossiers « égarés » et a facilité la libération de plus de 500 détenus. Pour le Procureur général du tribunal de grande instance de Garoua, Jean Nwafo, « le tribunal est très attentif à toutes les procédures. Il veille à ce que les affaires soient jugées en priorité ». S’Il reconnaît que la loi autorise une affaire à passer 6 mois à l’information judiciaire et que le juge peut proroger les délais, « ça ne devrait pas excéder 12 mois pour les délits et 18 mois pour les crimes ».
A part l’assistante des programmes tel Justice et Paix, les prisonnier bénéficient également de l’assistance de plusieurs avocats dont les honoraires sont réglés par l’Union européenne. L’un d’entre eux, Me Gilbert Badai. Il avoue qu’avant c’était pire. « Le détenu pouvait passer des années à la prison sans avoir été ni jugé ni condamné, ignorant même à quel niveau se trouve son dossier ».

Jean Pierre Hachda